La seconde guerre mondiale

Chapitre 3 - L'entreprise LAW

En juin 1940, l’évacuation fut organisée vers les usines LEROY à Angoulème, qui avaient fait de la place pour accueillir les machines outils et matières premières, dossiers et archives. Malheureusement, les Allemands sont arrivés à Angoulème avant les wagons qui contenaient le matériel.
Le 13 juin 1940, Louis-Adolphe Wisler vint à Marigné (village de la Sarthe) chercher sa femme et ses deux filles, avec la vieille camionnette « bleu LAW ». C’était l’évacuation, passant par Le Mans et Angers pour rejoindre Angoulème, les ponts n’étaient pas encore sautés et ils échappèrent aux bombardements et mitraillages sur la route. Une partie du personnel avec leur famille arrivèrent aussi à Angoulème et M. Marcel LEROY procura une très grande maison dans le village de Juac, où tous ont vécu ensemble, faisant cuisine commune avec les moyens du bord.

M. NIGGLI rentra le premier à Senlis en éclaireur. Voici ce qu’il écrit à Louis-Adolphe :

Dimanche  30 juin 40,
Mon cher Ami,

Voici comment s’est passé mon voyage et dans quelles conditions j’ai retrouvé nos lieux et intérieurs. Tout d’abord, un bon point pour la voiture qui s’est comportée admirablement : en respectant son régime, elle irait jusqu’au bout du monde (NDLR : il s’agite d’une citroën 11 CV). Par contre, je n’ai pas pu suivre l’itinéraire direct. A partir de Chatellerault, on nous a fait faire des détours importants, vu que les ponts des différentes rivières à passer étaient sautés. La Loire, nous l’avons traversée à Amboise et pourtant je me suis laissé dire que le pont de Tours était réparé et qu’il avait été utilisé déjà certains jours par les civils. Toujours est-il que je n’ai pas pu pousser plus loin que Chartres le premier jour et j’y suis arrivé à 9 heures sans être descendu de voiture et à bout d’essence. Nous avons été arrêtés des heures entières pour laisser passer des convois allemands et la traversée des bourgs s’est effectuée régulièrement au pas.
Ayant dû contourner Tours, j’ai filé directement sur Chartres, sans aller à la Membrolle, où je risquais d’ailleurs de ne pas rencontrer MERCIER (NDLR : un représentant).
MAINGUIN (NDLR : idem) était chez lui, mais,  depuis son retour d’évacuation, n’avait pas encore eu le temps de se demander s’il y avait une distinction à faire dans la façon « d’arroser la vente d’un démultiplié » (sic) et de se consoler de la nouvelle situation. Réception néanmoins très cordiale dans laquelle Madame MAINGUIN mérite une mention toute spéciale pour sa gentillesse. Nous (lui et son fils Jacques)  y avons passé la nuit et le lendemain nous sommes mis à la recherche d’essence,  car celle que lui avaient laissée les ouvriers était évaporée. Cinq litres par ci, dix litres par là, et me voilà parti en direction de Paris avec de nouveaux détours.
Passant par Arpajon, j’ai rendu visite à MONGIN, qui très aimablement m’a cédé 10 litres du précieux liquide.
Arrivé à quelques 5 Km de Paris, la Police de la route m’oblige à passer par Choisy le Roi, me faisant remarquer qu’il était défendu de traverser Paris.  Je me suis arrêté pour envoyer Jacques chez DROZ (NDLR : ami et directeur de la production LAW) par le Métro pour avoir  des nouvelles. Il est revenu avec Yvonne (NDLR : sa fille) et j’ai eu le plaisir d’apprendre que tout s’était bien passé pour Berthe (NDLR : fille aînée) et Yvonne, mais qu’elles étaient elles aussi sans nouvelle de Micheline (NDLR : 3ème fille).
DROZ n’avait pas pu rejoindre Senlis le fameux lundi.
En partie rassuré pour mes enfants, je suis reparti avec Jacques pour Chantilly, où j’ai retrouvé mon intérieur (NDLR : Square des Aigles) comme je l’avais vu le samedi de mon départ. Je n’insiste pas : la joie d’être chez soi fait vite oublier les misères d’ordre matériel, surtout lorsqu’on a vu tant de vilaines choses en cours de route.
Dès ce matin je me suis rendu à Senlis, non sans appréhension. Ce que BRABANT (NDLR : représentant à Lille) t’a dit pour ta maison est exact (NDLR : elle est située sur la RN 17).  Elle a souffert des déflagrations, presque toutes les vitres étant cassées, mais surtout d’un honteux pillage, l’intérieur étant méconnaissable. Tout est dévalisé, déplacé, jeté pêle-mêle par terre, au point qu’une bombe n’aurait pas fait plus de dégâts. C’est
absolument écoeurant et, si j’ai un conseil à te donner, arrange toi pour éviter ce spectacle à ta femme, elle en tomberait malade. Tout a été saccagé du haut en bas et, seul, le petit fût du grenier n’a pas été découvert. Nous avons rentré les meubles (le piano à queue, etc) et objets qui se trouvaient dans le jardin, et fermé les volets.
Quant à l’USINE, elle est pour ainsi dire intacte avec seulement des traces de projectiles dont les dégâts sont insignifiants. Même les vitres sont au complet, mais la DELAGE (NDLR : la voiture de Louis-Adolphe Wisler) et la PEUGEOT (NDLR : celle de M.NOUVEAUX, représentant de Reims) ont disparu.
Par contre le bâtiment des BUREAUX a reçu deux obus, dont l’un a causé d’importantes détériorations à l’aile droite, surtout dans la chambre qui était réservée à BONNIVAR, et l’autre à causé l’éboulement de l’angle qui se trouve sous l’escalier de MOGNOLLE, mettant une partie du coffre-fort à nu (NDLR : au rez-de-chaussée)
Pas de pillage, ni même de désordre à l’Usine, sauf absence des 2 voitures.
Quant à la vie , elle commence à s’organiser, mais ni eau, ni gaz ni électricité. J’ai dû me procurer le pain au bureau des « Flüchtlinger ». Pas de communications, les trains entre Paris et Chantilly ne fonctionnent pas encore et le courrier doit être déposé à la Mairie où, en principe , on n’accepte que les lettres pour Paris et la Seine et Oise. Je ne sais donc pas quand te parviendra  la présente.
A mon arrivée à Senlis, j’ai rencontré MOGNOLLE (NDLR : un des principaux chef d’équipe qui habite l’appartement au 1er étage de l’aile gauche) qui était chez lui depuis 3 jours déjà. Il fait bonne garde et empêche les réfugiés de rentrer. Je lui ai demandé de surveiller un peu ta maison. Moi, je suis obligé pour le moment de vivre à Chantilly à cause du ravitaillement, mais je me suis arrangé pour faire un saut à Senlis journellement.
Il faut prendre beaucoup de précautions pour circuler en voiture, car on est guetté à chaque coin de rue par les réquisitions, ça fait déjà trois fois que j’ai dû m’expliquer. L’essence est introuvable.
Je crois t’avoir dit l’essentiel. Pour résumer, l’état de l’Usine permet d’embrayer dès que les services publics fonctionneront et qu’il y aura des machines, bien entendu. (NDLR : elles sont encore à Angoulème)
En ce qui concerne la réglementation du travail, impossible d’avoir le moindre renseignement . La Kommandantur t’envoie aux autorités françaises et ces derniers ne savent rien.. Il n’y a d’ailleurs que du personnel provisoire, la plupart des Personnalités officielles n’étant pas encore rentrées.
Les dégâts à Senlis sont importants mais tu peux dire à Mme CUTTOLI (NDLR : comptable) que sa maison est intacte et à Melle COLLIN (NDLR : employée de bureau) que la rue du Lion n’a pas souffert. Elles m’ont demandé de me renseigner.
Dès que le train marchera, j’irai à Paris voir DROZ et te donnerai d’autres nouvelles. Tiens moi au courant de tes projets et reçois mes plus cordiales amitiés pour vous tous.

NIGGLI

J’ai fait poster à Paris les lettres qu’on m’a confiées. Mon meilleur souvenir à tout le monde, surtout à Monsieur LEROY (NDLR : patron des Usines LEROY à Angoulème qui les a tous accueillis ainsi que le matériel), à qui je ne manquerai  d’ailleurs pas d’écrire.

Au bout d’un mois, les wagons reprirent le chemin de Senlis. Louis-Adolphe déposa, se femme et ses deux filles, chez sa belle mère à Marigné dans la Sarthe, et rentra à Senlis ainsi que le personnel et les familles descendus avec eux à Angoulème.

Louis-Adolphe, étant citoyen suisse, ne pouvait être mobilisé. Par contre, en tant que chef d’entreprise, il devait désigner les membres de son personnel qui partiraient en Allemagne pour le travail obligatoire (STO). Ce fut pour lui un calvaire de désigner des hommes qui peut être ne reviendraient pas. Il choisissait de préférence ceux qui n’avaient pas de charge de famille, ou ceux qui, étant malades, ne serait pas acceptés. C’est ainsi qu’il désigna trois fois  M. Savignac, qui fut exempté deux fois, et malheureusement parti la troisième et ne revint pas.

Comme il parlait allemand, il allait discuter à la Komandantur et, souvent, avait gain de cause.

Pendant les 4 années de guerre, l’usine marcha au ralenti. Les approvisionnements en matières premières étaient très rationnés. Louis-Adolphe Wisler a toujours refusé avec rigueur le marché noir. Il vendait ses appareils au prix de la taxe, mais il exigeait de ses clients cultivateurs qu’ils lui fournissent en contre partie des produits alimentaires au prix de la taxe.

C’est ainsi qu’il se transforma, pendant toute la durée des restrictions, en « épicier » chaque vendredi. Il avait fait établir la liste de chaque famille avec sa composition, et  le vendredi soir, chacun quittait l’usine avec sa part des provisions qui avaient pu être collectées dans la semaine.

Trente ans plus tard, M.PARMENTIER, Maire de VEZ, près de Crépy, se souvenait encore avoir acheté des moulins à farine  pour moudre le blé de ses administrés, et avoir livré chez LAW des camions de pommes de terre au prix de la taxe.

En 1941, un ouvrier tomba d’inanition au pied de sa machine. Renseignements pris, il s’agissait d’un père de famille  qui partait tous les matins l’estomac vide, pour laisser sa part à ses enfants. Il n’était pas seul dans ce cas. La décision fut immédiate : tous les jours à l’heure du casse-croûte (9h00), une soupe serait distribuée à chacun. Une cuisine fut aménagée avec deux très grosses marmites. Certains légumes étaient cultivés derrière l’usine. Toutes les épluchures et eaux grasses servaient à engraisser deux cochons dans une petite porcherie aménagée derrière les bureaux.
A l’atelier, on fabriqua une grande table roulante et des gamelles avec couvercle. On tua les cochons tous les six mois, dans le plus grand secret, car c’était interdit. De la tête à la queue, tout passait en saucissons, rangés dans un séchoir fabrication maison, dont seul Louis-Adolphe avait la clé. Tous les matins, il était là pour la distribution d’un morceau dans chaque gamelle pour chacun.

A la fin de l’année 1943, il y eut un énorme incendie à la grande sucrerie de LOUVRES. Louis-Adolphe envoya le camion pour récupérer le sucre encore utilisable et il y eut plusieurs grandes distributions. Pour le colis de Noël, il fut fabriqué des caramels. Les moules avaient été fabriqués à l’atelier pour faire des plaques d’environ 40 caramels. Louis-Adolphe se rappelait la recette de sa mère quand il était petit à une époque où les enfants n’allaient pas acheter des bonbons dans les magasins, et où le caramel maison était l’unique bonbon. Ses filles, Colette et Jacqueline ont participé activement à la fabrication, mettant à disposition leur table de toilette qui était l’unique meuble qui avait un marbre indispensable pour faire prendre les caramels.

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